Journal de bord d’un stage de vidéo-portrait
Journal de bord d’un stage de vidéo-portrait
Article paru dans Le Trait d’Union N°44, Octobre 2019
Cinéaste et psychopraticienne, j’ai réuni mes deux passions en proposant, depuis dix ans, des stages dans lesquels je pouvais utiliser la vidéo comme outil de rencontre avec soi et les autres. Les hasards de la vie m’ont offert un champ d’expérimentation dans un nouveau contexte : une université de formation aux métiers du social.
Me voici donc, un lundi matin, aux portes de l’université pour une première rencontre avec l’équipe pédagogique et les différents formateurs d’ateliers de pratique plus ou moins artistiques durant cette semaine banalisée. J’apprends ici qu’une restitution aura lieu le vendredi après-midi et qu’un temps est prévu pour que les étudiants puissent aller visiter les ateliers auxquels ils ne se sont pas inscrits. Je préviens tout de suite que je laisserai les stagiaires libres de montrer ou pas leur vidéo-portraits, car, touchant à l’intime, la décision d’une diffusion publique leur appartiendra.
La réunion terminée, la coordinatrice m’accompagne jusqu’à la classe qui m’est destinée. Ma première réaction est négative, car si la salle est très spacieuse, les fenêtres s’ouvrent au ras du sol, la lumière y est glauque et les murs d’un gris sale. Je repère malgré tout que son emplacement nous garantit le calme, ce qui sera bien utile pour enregistrer des voix off. La coordinatrice s’en va, je n’ai plus qu’à attendre les stagiaires.
Je n’en mène pas large ! Je sais par expérience que l’ambiance du stage se joue dès les premiers instants de rencontre entre les stagiaires et moi mais aussi entre eux, car ils ne se connaissent pas. Selon ma liste de 11 inscrits, certains étudiants sont en première année, d’autres en seconde, et les formations sont mélangées ; je viens d’apprendre aussi que certains se sont inscrits par défaut, car les ateliers qu’ils avaient choisis étaient complets.
Ils arrivent au compte-gouttes ; je les reçois un par un et me présente en leur serrant la main. Ils ont l’air surpris. Avec les premiers arrivés, nous disposons la salle de classe de manière à dégager un espace central pour disposer les chaises en cercle. Je propose d’attendre tout le monde pour commencer. Au bout de vingt minutes, une stagiaire se présente : elle sera la dernière car la onzième n’arrivera jamais, ni ce jour, ni les suivants.
Nous commençons. Les étudiants sont sur la réserve. Je les regarde un moment en silence. Ce qui me frappe en premier lieu, c’est l’hétérogénéité du groupe : trois garçons pour sept filles ; j’évalue les âges entre 20 et plus de 40 ans, d’origines diverses, avec une grande majorité de personnes issues de l’immigration. Une femme tient son sac serré contre elle en mode protection. Je lui suggère doucement de s’en débarrasser, elle me répond que ce n’est pas possible pour le moment. Je ne sens en moi que bienveillance et envie de rassurer. « Vous vous demandez peut être à quelle sauce vous allez être mangés ? C’est impressionnant, ce titre de stage « Vidéo-portraits » ; j’ai juste envie de vous dire que personne n’est forcé à faire ce qu’il n’a pas envie de faire, et que je suis là pour vous accompagner là où vous voudrez aller et pas plus loin. » Je vois des visages se détendre, je poursuis : « J’ai vraiment besoin de vous connaître avant de vous parler du programme de cette semaine et je vous propose de commencer par cela, parler de nous et si vous êtes O.K., je vais commencer par vous expliquer comment je vois notre collaboration ; cela vous en dira un peu plus sur la personne que je suis et sur la manière dont je souhaite que nous travaillions. »
Je crois qu’il est indispensable de poser le cadre à ce moment précis. Il définit les champs de liberté et les limites, il rassure les stagiaires et me rassure aussi car, tout au long de la semaine, je peux y faire référence. Il est d’autant plus important dans la situation présente où les étudiants en formation sont soumis à d’autres cadres déterminés par l’institution. Mon but est alors de définir un cadre à l’intérieur du cadre déjà défini et accepté par l’ensemble de la communauté. Je ne peux pas dire, par exemple, que les étudiants peuvent partir lorsque leur travail est terminé, puisque l’institution les oblige à respecter des horaires préétablis pour des raisons d’assurance, et ce, même s’ils sont majeurs. Je joue donc « serré » car, en toute objectivité, les règles imposées n’emportent pas toujours mon adhésion !
Je leur explique que le cadre que je propose repose sur 4 grands principes :
- L’institution : je suis soumise aux règles de l’institution au même titre que les stagiaires (respect des limites spatiales et temporelles et de l’organisation générale de la semaine, obligation d’évaluer le groupe et chaque personne).
- L’individu: je ne considère pas les personnes comme des étudiants, mais comme des humains, avec leur singularité, leur passé et tout ce qui compose leur personnalité, et je demande que l’on me considère de la même façon. Je suis formatrice dans un domaine particulier qu’ils ne connaissent pas encore et chargée de transmettre une méthode, de proposer un atelier qu’ils vont expérimenter et c’est là ma seule « supériorité ». Je suis ouverte à eux et prête à accueillir tout ce que je peux apprendre de chacun. Je demande que l’on m’appelle par mon prénom et que l’on me tutoie. Je précise aussi qu’il n’est pas nécessaire de lever le doigt pour demander à sortir. Pour des raisons de respect de chacun, je suggère que chacun mette son téléphone sur silencieux et sorte de la pièce s’il y a urgence de répondre.
- Le groupe : travailler sur son autoportrait nécessite de se sentir en sécurité, je demande donc la discrétion: tout se qui se dit ici ne doit pas sortir, et ce sous aucun prétexte ; il est important que chacun s’engage à ne pas parler de l’atelier à l’extérieur. L’authenticité me paraît absolument indispensable pour un travail d’autoportrait ; il n’est pas question ici de tout dire, mais de mesurer ses limites et de sentir jusqu’où l’on peut aller sans se mettre en danger ou regretter ensuite de s’être trop exposé. Je demande aussi d’avoir du respect pour soi et pour l’autre et de s’efforcer de ne pas juger. Je demande encore d’être dans un accueil bienveillant de l’autre et, si possible, d’être soutenant et solidaire. Je dis que je suis là pour accompagner, pas pour juger ni évaluer, et je propose, puisque c’est la demande de l’institution, de faire avec chaque membre du groupe son évaluation personnelle écrite. Je dévoile à cet instant le sous-titre du stage : Est-ce que je suis comme on me voit ? Est-ce qu’on me voit comme je suis ? Il va s’agir de travailler sur sa propre image et sur celle que nous renvoyons aux autres. Il est donc nécessaire d’être attentif à chacun et, dans la mesure du possible, de tout mettre en œuvre pour le rencontrer. Pour finir, je dis aussi que je me sens proche d’eux, même sans les connaître, car ils ont tous choisi des professions qui placent la relation d’aide au centre des préoccupations, et que cela non seulement m’est familier, mais fait partie de mes engagements de femme et de citoyenne.
- Le travail : avant d’expliquer le déroulement du stage jour après jour en détaillant chaque étape, je veux rassurer : toutes les personnes ici présentes feront un film, et son contenu sera ce qu’ils en décideront. Chaque personne sera sollicitée pour participer au film de chacun, soit comme membre de l’équipe technique, soit comme figurant ou acteur. Je demande donc de la collaboration. Je rajoute pour finir que je ressens beaucoup de plaisir à transmettre un savoir-faire et un savoir-être à des personnes qui transmettront à leur tour.
Le cadre est posé, mon regard embrasse le groupe et s’arrête sur chaque personne, je souris et demande s’il y a des questions. La femme qui tenait son sac contre elle se lève et va le déposer sur une table. Les stagiaires restent silencieux, mais je sens que quelque chose se passe. Ils sont plus détendus, leurs corps s’installent plus confortablement sur les chaises inconfortables. Je poursuis : « S’il n’y a pas de question, nous allons procéder aux présentations, et si vous m’y autorisez, je vais commencer, même si j’ai l’impression de monopoliser la parole. Etes-vous d’accord ? » Ils acquiescent.
Je sais par expérience que la manière dont je vais parler de moi et de mon parcours est primordiale, car ma sincérité met en confiance et incite chacun à s’ouvrir comme si j’ouvrais la voie. Les présentations se font alors plus simplement. Je sais aussi que mon parcours impressionne, même si je le minimise ; je ne veux pas faire la démonstration que je suis une « bonne personne », mais c’est presque toujours ce qui en ressort – je l’ai appris au fil des ans en lisant les bilans des stagiaires. Si cela m’a gêné au début, je pense aujourd’hui que c’est une force, même si les regards admiratifs m’embarrassent, je ne pense pas avoir pris « la grosse tête », car je suis – c’est mon travail de thérapeute – consciente de qui je suis, avec mon énergie et mes faiblesses. Tout au long de la semaine, je vais tâcher de rester en contact avec moi tout en étant ouverte et attentive à l’autre. C’est cet aller retour permanent qui me permettra de mener mon travail à bien en toute conscience.
Je parle donc de mon parcours pendant dix bonnes minutes. Je sens que je les intéresse, ma façon vivante et parfois drôle de parler de moi les fait réagir. Lorsque j’ai terminé, je demande s’il y a des questions. Une jeune femme me dit qu’elle est bluffée et admirative. Je la remercie et dis que je n’ai pas eu d’autre choix que de faire ce que j’ai fait et que finalement, cela n’a pas été si difficile. Je demande qui veux commencer.
Je ne peux pas rapporter, ici ce que chaque personne a dévoilé de son parcours, ils sont dix et chacun a une histoire riche, souvent chaotique et difficile. Ils parlent sincèrement, plus ou moins longtemps et chacun écoute, attentif. Lorsque le dernier a parlé, nous restons un long moment dans le silence. Ils sont là, à la fois impressionnés par leur propre audace et soulagés d’avoir parlé. Un participant dit que c’est la première fois qu’il se raconte en public. Je remercie le groupe et je propose une courte pause.
Je suis soulagée, j’ai l’impression que « la mayonnaise a pris ». Je suis aussi émerveillée de la capacité de chacun à se révéler dans cette atmosphère un peu feutrée et intime que nous avons créée ensemble. Je les vois, éparpillés dans la salle par petits groupes, ils communiquent et je sens la bienveillance générale.
Nous reprenons et il est temps pour moi d’exposer le déroulement de la semaine, étape après étape. La présentation du déroulé du stage suscite de nombreuses questions. Elles révèlent une forme d’insécurité et de doute : « Pour le speed dating, c’est long, cinq minutes à parler de soi ; qu’est ce que je vais dire ? » « Je déteste être filmé ! » Autant de réactions qui expriment la peur de se dévoiler devant l’autre, ou l’angoisse d’être filmé. J’accueille tous les doutes et dis que je les comprends, que personne n’est obligé à rien, et que je suis là pour les accompagner, là où ils décideront d’aller, ni plus ni moins. Certains disent qu’ils trouvent l’expérience intéressante et que, malgré leurs appréhensions, ils sont curieux de la vivre.
Nous rangeons la salle en positionnant des couples de chaises ici et là. Le speed dating peut commencer. J’ai préparé un tableau pour faciliter le roulement. Je distribue des numéros de 1 à 10 à chaque stagiaire et nous en plaisantons ! Je suis la gardienne du temps et du bon fonctionnement de l’exercice. Je nomme les duos par numéro et, à l’aide d’un chronomètre, je fais tourner les temps de parole. Nous commençons l’exercice, qui durera jusqu’au déjeuner et, après la pause, jusqu’à 16h. Comme je l’ai proposé, je passe d’un groupe à l’autre de manière à écouter le récit de chacun. Cela me laisse du temps pour les regarder. La plupart des duos sont actifs et de plus en plus joyeux au fil de la journée. J’entends des exclamations, des rires ou encore des réflexions de soutien ou d’admiration, je vois même deux étudiants s’enlacer et se serrer fort.
À la fin de la journée, nous replaçons les chaises en cercle pour un bilan. Les étudiants sont très joyeux, ils s’interpellent et plaisantent, mais j’obtiens sans difficulté leur concentration. Leurs bilans sont très positifs : « C’est dingue comment on peut penser des trucs sur les gens et s’apercevoir qu’on avait juste des préjugés » ; « Je ne pensais pas qu’Untel était si profond, je croyais qu’il faisait son beau, mais… » ; « C’est fou comme nos histoires se ressemblent avec Unetelle ». « On a découvert que nous avions les mêmes goûts » ; « En fait, c’était trop court ! ». « Finalement, je n’ai jamais parlé de moi de la même façon, j’avais peur que ce soit répétitif, mais j’ai dit des choses différentes en fonction des personnes que j’avais en face » ; « On n’a pas l’habitude de parler de soi, et là, c’était top ! » ; « Merci Pascale, c’était une super idée ! »
Mon cœur fait un bond : un étudiant m’a appelée par mon prénom ! L’institution formate le langage et induit la manière de nommer les personnes en fonction de leur statut. Je ne suis pas très sensible aux marques de respect formelles et je pense, comme le disait Léo Ferré, que « Ce n’est pas le baisemain qui fait la tendresse ni le rince-doigts qui fait les mains propres ». C’est un bon début, une personne sur dix ! J’espère que les autres suivront. En fait, durant les jours à venir, tous, sauf un, réussiront à m’appeler par mon prénom, et six sur dix réussiront à me tutoyer. À tel point que cela deviendra un jeu entre nous. Le plus récalcitrant, osera seulement le dernier jour et la dernière heure me nommer spontanément Pascale. Il fera l’objet d’applaudissements nourris !
La journée s’achève et nous nous disons à demain. Je suis contente, le groupe commence à exister, et je sens qu’ils ont envie de poursuivre l’expérience.
Le lendemain, ils sont tous à l’heure. La météo annonce de la neige pour la fin d’après-midi, certains sont anxieux à l’idée de ne pas pouvoir rentrer chez eux en transports en commun.
Je commence la séance par une introduction au langage cinématographique ; j’ai apporté des documents pour que les étudiants soient dispensés de prise de notes et plus attentifs à mon intervention. Ils suivent, mais participent mollement. Je m’en rends compte et leur demande d’imaginer comment ils pourraient filmer le dispositif dans lequel nous nous trouvons. Ils viennent tour à tour faire des propositions en se déplaçant dans la salle pour trouver des points de vue descriptifs. Je les encourage à être plus audacieux et à imaginer comment le filmage peut créer du sens, de l’information ou de l’émotion. Ils commencent à comprendre et deviennent plus actifs.
Après une pause de vingt minutes, je leur demande de se répartir autour des tables et de commencer à écrire, en respectant la forme du découpage technique que j’ai écrite sur le tableau.
Ce n’est pas avec grand enthousiasme qu’ils se mettent au travail. Mise à part ‘Cathy’* qui bouillonne d’idées et sait déjà ce qu’elle veut faire, les autres s’installent et sortent leurs affaires avec lenteur.
De par mon expérience avec des étudiants des métiers du social, je sais que l’écriture n’est pas leur point fort et qu’ils rechignent à cet exercice. Pour les aider, je leur propose un tas de petits « trucs » que le temps m’a permis de mettre au point. Je répète que je suis à leur disposition pour les aider s’ils sont totalement « secs », ou encore pour donner forme à leurs idées, et qu’ils peuvent venir me voir quand ils veulent.
Durant cette étape, je me sens comme une accoucheuse d’images : souvent, l’idée est là, elle affleure, mais, dès qu’elle doit prendre forme, elle se délite et échappe à la conscience. Je dois, avec délicatesse, créer les conditions pour qu’elle s’incarne. Je lutte parfois contre moi-même pour ne pas aller trop vite, ne pas imposer mes propres représentations. Mon travail consiste à suggérer des pistes, à activer l’imaginaire pour visualiser, symboliser. Ce processus est plus ou moins rapide ; il arrive parfois que je renvoie un stagiaire à sa table, car la « matière première » qu’il m’apporte est insuffisante, mais aujourd’hui ce ne sera pas le cas : ils viendront tous avec sincérité me présenter un premier jet d’écriture. Là aussi, il serait trop long d’exposer ici le processus d’écriture de chacun, et je me contenterai de ces généralités avant de présenter le processus d’un homme de trente ans.
Je l’ai choisi* car il est, selon moi, exemplaire dans la possibilité qu’offre l’outil vidéo de symboliser la vision que l’on peut avoir de sa propre histoire. Le format court, induit par les contingences du stage, a permis à ce jeune homme de synthétiser son vécu et de le poser là, devant lui, comme une évidence. Dans son bilan, Il indiquera qu’il y aurait dorénavant un avant et un après cette expérience, qui lui offrait la possibilité de se détacher d’un passé douloureux et de faire face à un avenir où l’espoir lui était autorisé.
Il arrive à mon bureau en traînant les pieds. Il me dit que cette journée est très dure pour lui, car en regardant son passé, il n’y voit que frustrations et échecs, et que tout cela est vraiment trop douloureux. Si sa première vocation est de travailler dans le graphisme, l’opportunité de s’essayer à la vidéo le paralyse et il a peur de « faire de la merde », car sa vie « est de la merde ». J’accueille la violence de ses propos en faisant bonne figure, mais je ressens tout son désarroi et, à l’instant présent, son impuissance devant l’exercice demandé. Je décèle aussi le courage qu’il lui faut pour se présenter ainsi démuni devant moi. Sa demande d’aide est presque désespérée. Je suis profondément touchée. Je lui parle de sa présence dans le groupe, du fait qu’il aie pris en premier la parole pour se présenter, et la façon dont sa sincérité a libéré le groupe de toute peur d’être jugé. Je lui dis aussi que je ne peux pas, ici, être son thérapeute, car ce n’est ni le lieu, ni le moment. Je lui propose de revenir à l’objet du stage : réaliser son autoportrait. Nous lisons ensemble ce qu’il a écrit. Dans un style très expressif, il décrit ses échecs, ses frustrations qui datent de l’enfance, ses erreurs d’aiguillage dans les formations qu’il n’a jamais terminées et sa douleur de traîner sa vie sans joie. Deux pages lyriques de plaintes et de constatations négatives. Je lui demande de souligner les mots qui lui paraissent les plus importants et de les recopier dans l’ordre qu’il choisira. Je reste auprès de lui pendant qu’il se relit. Il hésite longtemps, revient en arrière, rature, gribouille, puis me tend une feuille où sont écrits 5 mots forts, dont celui de ‘captif’. Je lui demande de tracer une ligne temporelle de 0 à 30 ans et d’y placer les mots. Il s’exécute et il les place dans l’ordre où il les a cités ; au bout de sa ligne de vie, il s’est représenté sous la forme d’un petit bonhomme filiforme. Je regarde et lui décris ce que je vois : « Les mots sont placés derrière toi, et aujourd’hui, comment tu te vois ? » Il me raconte alors sa rencontre avec un travailleur social. Ils se sont liés d’amitié, et son ami lui a suggéré d’entrer en formation d’un métier social puisqu’il fallait bien avoir un travail… Il s’est inscrit sans grande conviction, ne sachant pas vraiment s’il a envie d’exercer plus tard ce travail. Je lui demande comment il se sent dans la formation. Il dit que cela lui plaît, même s’il ne sait pas où il va, et qu’il attend d’aller en stage pour se faire une idée plus précise. Il rajoute qu’il se sent bien dans le groupe et qu’il s’étonne lui-même de s’ouvrir ainsi. Je lui demande ce que cela lui fait. Il répond qu’il se sent libéré, un peu. Je lui montre le mot « captif » Il réagit et sourit ; c’est vrai qu’il se sent un peu plus libre et, à bien y réfléchir, si la formation continue de lui plaire, il sait au moins ce qu’il fera les trois prochaines années. Je lui demande de se concentrer sur ce qu’il vient de dire et d’écouter au fond de lui ce que cela lui fait. Il ferme les yeux et au bout d’un temps son visage s’éclaire, il dit : c’est comme si je reprenais un peu espoir, c’est fragile mais il y a une petite lumière…
Je lui demande si c’est ce qu’il a envie de dire dans son autoportrait. Il acquiesce.
J’aurais envie de continuer à l’écouter, simplement. Je sens qu’il est prêt. Mais nous sommes dans le cadre d’un stage collectif et je n’ai pas plus de temps à lui consacrer. C’est certainement là une des limites de cette expérience contrainte par son cadre temporel et collectif. Il s’agit maintenant de convoquer des images pour exprimer le ressenti qu’il a de son parcours. Il n’a pas d’idée. Je lui suggère de regarder cette ligne de vie qu’il a tracée et les mots qui l’accompagnent, et lui dis que, parfois, il ne faut pas aller chercher très loin, que tout est là, tout près. En fait, je sais déjà comment symboliser : c’est là sous mes yeux et les siens. Je veux l’aider à ôter ce qui l’empêche de voir. Alors je me lance : « Tu as tracé une ligne ; comment pourrions nous la rendre matériellement ? » « Je ne sais pas, dit il, peut être par une corde ? » « Oui, réponds-je, une corde, une ficelle, un truc qu’on déroule. Qu’est ce qu’il y aurait au bout de cette corde ? » « Moi ! » me répond-il ! Je lui montre le mot captif. Il s’éclaire : « Oui, moi, les mains liées par cette corde et tous ces mots accrochés derrière… » Il s’est illuminé et enchaîne très vite, « …et quelqu’un viendrait couper les liens qui me retiennent captif et je serais libéré et je partirais vers l’avenir. » La suite va très vite ; je lui propose de taper sur des feuilles les trois mots, le dernier n’étant pas nécessaire, puisqu’il aura les mains liées. On pourrait accrocher les feuilles par des épingles à linge ? Oui, c’est possible, j’en ai de très mignonnes, en bois… Et puis, rajoute-il, je pourrais utiliser des titres pour dire qu’il y a des rencontres qui nous aident à nous construire, à nous découvrir… Oui, c’est ça, on pourrait faire apparaître ces phrases au moment où tu t’éloignes de dos, vers l’avenir… vers l’espoir… Il est radieux,
Nous nous remercions mutuellement.
La fin de la journée arrive très vite, nous faisons une rapide réunion technique pour préparer les tournages. La neige commence à tomber. Deux personnes ont peur de ne pas pouvoir venir le lendemain, si les routes ne sont pas dégagées. Je repars avec cette inquiétude.
Le mercredi, nous arrivons très tôt avec Axel, qui m’assiste. Je lui décris le plan de travail. Les étudiants arrivent, un à un. Certains auront plusieurs heures de retard et une ne viendra pas, elle s’en excuse par SMS. J’ai organisé les tournages par décor de manière à optimiser le temps ; ce procédé rend la compréhension des films totalement impossible, puisque nous tournons dans le désordre, sans souci de chronologie. Avant de nous répartir les plans à tourner, j’explique aux stagiaires les procédures à suivre pour le tournage : chaque plan doit être identifié par un clap et reporté sur le cahier de script. Une personne, désignée comme le réalisateur ou la réalisatrice doit suivre un protocole afin de donner les tops. Les stagiaires ont l’air ravi et ne s’attendaient pas à cet aspect du tournage. La plus jeune stagiaire dit qu’elle se sent une vraie « pro ». Axel montre le fonctionnement de la caméra et du pied et un jeune homme se propose comme assistant. Dehors, la neige a cessé de tomber, pas un nuage ne flotte dans l’atmosphère glaciale. La lumière est sublime et nous garantit de belles images.
Que dire de cette journée ? Regarder œuvrer Axel, à qui je confie les plans difficiles, mes mouvements de caméra acrobatiques, les extérieurs fatigants. Axel, mon complice, 25 ans et déjà très professionnel, il me rassure et me réjouis. Voir la jeune fille la plus timide toujours sur le coup, aller partout où l’on a besoin d’elle, regarder les mamas africaines offrir des friandises maison à tout le groupe, entendre les uns et les autres proposer des idées de cadre, de lumière. Sentir qu’ils font équipe et s’approprient l’espace et le matériel… Une journée remplie d’émotion quand une participante, terrassée par les larmes, doit s’arrêter en plein milieu de l’enregistrement de sa voix off et sortir précipitamment pour revenir quelques instants plus tard soutenue par une autre. Une journée joyeuse, où les plus jeunes filles s’échangent leur rouge à lèvres et se donnent des conseils en matière de coiffure. Une journée surprenante quand les stagiaires improvisent comme des acteurs professionnels et inventent leur texte au fur et à mesure, sans avoir répété. Une journée riche, conviviale, studieuse. Des instantanés de vie entre des personnes qui ne se connaissaient pas il y a trois jours et qui fonctionnent ensemble comme une équipe rodée, dans la confiance et la bienveillance. Une journée comme j’aimerais en vivre tous les jours…
Le jeudi est une journée difficile pour tout le groupe car monopolisée par les montages en duo ; j’ai peu de disponibilité pour le groupe d’étudiants et cela me frustre quelque peu. Nous avons étalé ensemble, sur les tables alignées tout au long des murs, les 450 photos qui composent le photo-langage que j’ai constitué au fil des années. J’explique ce que j’attends de chacun : choisir une photo ou plusieurs qui symbolisent ce que l’on a perçu de chaque membre du groupe et écrire un texte pour lui restituer les impressions qu’elle nous a produites, ce que l’on a pu comprendre ou deviner de sa personnalité. Je rajoute qu’il est fondamental de rester dans la bienveillance et la délicatesse, et que si l’on a pas de ressenti précis pour une personne, il suffit de le dire simplement et sans jugement de valeur. Les stagiaires commencent à circuler entre les photos.
Une femme* est embarrassée, elle ne trouve pas la photo qu’elle cherche. Je lui dis de ne pas chercher quelque chose de précis, mais plutôt de se laisser inspirer, presque happer par les images. Elle ne comprend pas. Je me propose de faire l’exercice en choisissant le premier stagiaire qui tombe sous mon regard. Je ferme les yeux et me concentre sur ce que je perçois de lui, puis je me mets en quête d’une image. Assez rapidement, je me focalise sur une photo qui représente un nombre important de rails qui se croisent et se décroisent. Je prends la photo et la montre au groupe qui s’est arrêté. Je commence par plaisanter, ce n’est pas évident de symboliser ce que je perçois de ce stagiaire par ce vilain capharnaüm de ferrailles suburbaines ! Mais ce qui me frappe le plus chez lui c’est sa multiplicité, comme s’il avait plusieurs visages, plusieurs vies qui cohabitaient, puis émergeaient suivant les moments de la journée. Je ne peux pas le cerner, un peu comme ces rails, dont le nombre empêche le regard d’en déterminer le début et la fin. Le stagiaire concerné me fait un petit signe d’approbation, il se reconnaît dans la photo.
La femme a compris. Tout le monde se replonge dans sa recherche. Deux étudiants se proposent d’aller filmer dehors la personne qui était absente hier.
Je me plonge dans le montage. Là encore, il serait trop long de raconter ce qui s’est passé entre chaque stagiaire et ses images, choix des prises, des raccords, le montage de la voix, les essais avec différentes musiques, tout le processus technique qui doit faire sens pour devenir récit. À cette étape du travail, je suis technicienne-monteuse au service du réalisateur. Je suis ses recommandations, je suggère des effets, je reste en retrait et à disposition en apportant mes connaissances techniques. J’observe avec attention les effets que produisent les images sur leurs auteurs. Il y a presque toujours chez les filles et les femmes un moment de rejet de leur propre image et/ou de leur voix : « Je suis moche, j’ai l’air comme ci ou comme ça… » Passés ces premiers commentaires, elles rentrent dans le sens qu’elles ont voulu donné à leur film et généralement, finissent par s’accepter telles qu’elles sont.
Une étudiante* m’a particulièrement marquée ce jour-là. Dans sa voix off, elle décrit l’attente de son enfant durant sa première grossesse, et la joie de savoir qu’elle mettra au monde une fille sur laquelle elle projette déjà beaucoup. Selon la tradition de son pays, l’enfant doit réaliser les attentes de ses géniteurs. Cette première voix est illustrée par l’étudiante qui berce dans ses bras un enfant emmailloté ; son visage est l’incarnation de la maternité comblée. Puis, très lentement, une ombre arrive par le bas du cadre et commence à la recouvrir jusqu’à la dissimuler complétement. L’image devient noire. La deuxième partie de sa voix décrit sa douleur d’apprendre que son enfant est différent et que le diagnostic de son handicap rendra à jamais impossibles ses rêves et ses projections. Elle raconte ensuite comment elle a pris les choses en main pour accompagner son enfant et les conséquences de ses rêves brisés : la création d’une association dans son pays d’origine pour aider les parents d’enfants handicapés, l’écriture d’un livre pour enfants et son engagement dans sa formation professionnelle. Je l’ai sentie très réticente à partir du deuxième plan qui la montre affairée sur son ordinateur, puis heureuse de montrer son livre et des documents de son association. Plus le plan avançait, plus elle s’effondrait au point que j’ai tout arrêté. Je l’ai laissée se reprendre, puis lui ai demandé ce qu’elle ressentait. Elle m’a expliqué que c’était encore très dur, voire impossible, et même au bout de sept ans, d’entendre le mot « handicap ». Qu’elle n’arrivait pas à l’accepter. Je lui ai demandé pourquoi elle l’avait alors écrit et lu. Elle m’a répondu que ce n’était pas pareil que de l’entendre. Qu’est ce que nous allons faire avec ça, lui ai je demandé ? Elle s’est mise à pleurer et elle est venue se nicher contre mon épaule. Rien, m’a-t-elle dit, on ne change rien, il faut que j’accepte.
Nous en sommes restées là sur le moment, mais son émotion m’a poursuivi jusqu’au lendemain.
Lors du bilan de fin de journée, deux étudiantes ont suggéré que nous partagions le repas du lendemain sur le mode « auberge espagnole ». J’ai été surprise et ravie de cette idée, mais hélas, une réunion aurait lieu au même moment. Je me suis promise de les rejoindre le plus vite possible. J’ai demandé alors qui souhaitait montrer son film lors de l’ouverture de l’atelier le lendemain après-midi. Seuls trois personnes ont été d’accord. Il y avait dans l’air comme un parfum de nostalgie : c’est déjà fini… on ne va plus se revoir… Je suis vite rentrée pour mettre les films en ligne avec, bien sûr, un code d’accès privé.
Le vendredi, la neige avait en partie fondu et laissait encore ça et là des traces de sa blancheur. Le ciel était bas et déprimant. Tous les stagiaires sont arrivés à l’heure et nous avons rapidement organisé la salle pour la projection. Il y a de l’impatience dans l’air et même une sorte d’angoisse. Une étudiante dit qu’elle a vraiment peur de se voir et de montrer son film, une autre garde le silence, mais je sens qu’elle est tendue. Deux autres sont plutôt joyeux et préviennent qu’ils vont bientôt monter les marches du festival de Cannes ; leurs pitreries détendent l’atmosphère. Ils sont prêts ; je lance les films, qui défilent sans interruption. Le silence est quasi religieux. Au début de chaque film, les regards se portent rapidement sur l’auteur, puis reviennent vers le petit écran. Je les regarde se regarder et vois les émotions défiler sur les images. Sourires, reniflements, soulagement, surprise, toute une gamme de sentiments passe sur les visages. Je suis un peu tendue. Peur qu’ils soient déçus, qu’ils ne se reconnaissent pas en présence des autres, peur d’avoir été trop loin ou pas assez… Les applaudissements sincères qui fusent après le générique me rassurent un peu.
C’est le moment du bilan : qu’est ce que cela vous fait de vous voir et qu’est ce que cela vous fait de montrer vos autoportraits aux autres ? Ils prennent la parole tour à tour. Quelques retours : Un étudiant est très content, il a l’impression de donner une image positive et se rend compte que les épreuves qu’il a traversées l’ont fait grandir sans vraiment l’abîmer ; il dédie son film à ses parents. Un autre dit qu’il n’a pas tout montré parce qu’il n’était pas prêt. Une stagiaire dit qu’elle se voit comme une femme et que cela la surprend agréablement. Une autre se rend compte de son courage parce que ce sont les autres qui le lui renvoient. La plus âgée est ravie : elle dit qu’elle ne se serait jamais crue capable de s’ouvrir aux autres et qu’elle va être fière de montrer son film à ses enfants. La plus jeune dit avec émotion qu’elle sent qu’elle a encore des choses à régler, qu’elle pensait que… sa voix s’étrangle, elle se reprend et dit qu’elle est contente de son film. L’homme de trente ans dit qu’il a retrouvé de l’espoir grâce au stage, qu’il n’avait jamais regardé sa vie de cette façon, que cela lui fait du bien, et il remercie le groupe et la formatrice de lui avoir permis cette expérience. La plus timide dit que c’est la première fois qu’elle communique aussi rapidement avec les autres, elle qui est si sauvage d’habitude ne se reconnaît pas, et cela lui fait plaisir.
Après un moment de silence plein d’émotion, les regards se tournent vers moi. Je prends la parole : « Je crois que c’est mon tour de vous faire un retour sur vos films ». Je m’adresse ensuite à chacun : « Toi*, tu nous montres tout le cheminement qui t’a conduit jusqu’ici, ce que l’université t’a apporté et comment tu es passée de l’adolescence à l’âge adulte. Je sens dans ta voix off et dans tes gestes comme tu revendiques cette nouvelle maturité et les choix qui en découlent. C’est beau de voir ton évolution et cette place que tu occupes aujourd’hui. Toi, je sens dans ton film ta force tranquille, le courage que tu as eu pour prendre en charge ta famille. Je sens aussi toute ta fraîcheur de jeune fille et les doutes qui l’accompagnent. Toi, c’est magnifique cette manière que tu as de t’affirmer de dire à la face du monde que tu as ta place et que tu comptes pour la société. Toi, merci de nous faire partager ton bonheur et cette vie harmonieuse que tu as su inventer avec ta famille. Toi (elle est très tendue) c’est intéressant de voir que dans ton film, tu as réussi à nous montrer tout ce que tu voulais cacher et que l’on devine : ton mal être, ta solitude et tous ces nœuds qu’il te restes à dénouer. » Son visage se couvre de larmes, elle sanglote et me dit entre deux hoquets qu’elle se dissimulait ses problèmes et qu’elle comprend aujourd’hui qu’il faut qu’elle les affronte. Je laisse un peu de temps à l’émotion et je poursuis : « Toi, quel courage ! Ta sensibilité s’exprime à travers tes images et il t’a fallut beaucoup de courage pour montrer ta fragilité et tes doutes, je suis impressionnée. Tu nous montres aussi que tu vas de l’avant, que tu n’abandonnes pas. » Il opine et sourit. « Toi, tu nous a offert, avec une grande pudeur et une grande délicatesse, toute cette solitude que tu ressens loin des tiens. Merci pour cela et là, je vais un peu sortir du cadre, merci pour ton dévouement pendant les tournages, tu as été là pour tous ceux qui en avaient besoin. » Elle sourit et dit qu’elle a l’impression de s’être fait des nouveaux « potes » et que du coup, elle se sent moins seule. Toi, tu as montré un aspect de toi mais on sent qu’il y en a beaucoup d’autres… Il en reste une. J’hésite un moment, j’ai peur de déclencher de la douleur, de sortir du cadre de l’analyse de son film, je me dis qu’il faut que je sois très délicate. « Toi, je vois toute la difficulté que tu as à dire le mot handicapé pour qualifier ton enfant. Mais ce que je vois dans ton film c’est que cet enfant a changé le cours de ta vie en te faisant chercher, imaginer des moyens de l’accompagner et puis tu as créé cette association et tu as écrit ce livre. C’est immense ce qu’il ta apporté cet enfant pas comme les autres, il t’a permis de te développer, de t’ouvrir et d’être là aujourd’hui. Cet enfant n’est pas une malédiction, c’est une chance. » J’ai soudain peur d’avoir été trop loin, de l’avoir blessée. Je la regarde intensément j’ai les larmes aux yeux mais je les refoule. « Pardon, j’ai peut- être été trop loin. » Elle me fait signe que non et éclate en sanglots. Tout son corps est secoué, sa douleur est impressionnante, et, avant que je puisse me lever, la moitié du groupe va l’entourer. Comme un aimant, elle attire les corps qui viennent la soutenir, la bercer, la consoler. Je me rassois et contemple le spectacle, très émue, je me dis que c’est pour voir de tels moments que je fais ce métier, que j’ai encore espoir en l’humanité, en l’humain.
Nous faisons une récréation assez longue pour « digérer » toutes ces émotions. Pendant la pause, je remplis avec chacun la fiche d’évaluation qu’il me faudra remettre à l’équipe pédagogique.
Nous reprenons avec l’exercice du retour sur image. Le dispositif consiste à ce que chaque étudiant vienne tour à tour occuper une chaise au centre d’un demi cercle composés par les autres étudiants. En face de lui, une chaise vide. Chaque stagiaire va tour à tour occuper cette chaise, montrer la ou les photos qu’il a choisies pour symboliser ce qu’il a perçu de la personne et lire un petit texte qu’il lui offre ensuite. Là aussi, il serait trop long de décrire ce moment qui est presque un rituel. La bienveillance, la clairvoyance et le soutien de chacun envers chacun. Les petits papiers, décorés avec soin, qui s’échangent, les larmes de quelques uns, les étreintes et toute la joie qui s’exprime dans les échanges. Un beau moment de fraternité où chacun fait attention à l’autre et lui offre le meilleur de lui même. Lorsque tous les étudiants sont passés, Un jeune homme prend la parole et fait taire tout le monde. « Maintenant c’est votre tour Madame Pascale ! » Je vois arriver deux participantes, les bras chargés de fleurs et de cadeaux. Ils m’entourent et m’offrent leurs présents. Je lis la jolie carte qu’ils ont tous signée, avec des mots de remerciements qui me bouleversent. Je remercie encore et encore.
Le temps passe vite et c’est le moment de partager le repas mais, je dois, à regret, les quitter pour participer à la réunion avec tous les autres intervenants.
Lorsque je reviens, une heure plus tard, la salle est transformée en réfectoire, ils ont mis de la musique et devisent aux quatre coins de la pièce. Il règne un joyeux désordre qui me fait paniquer un instant : nous n’avons qu’un quart d’heure pour tout ranger et accueillir les autres étudiants qui vont venir nous visiter.
Je fais part de mon inquiétude et une participante m’arrête: « Pascale, on vous a gardé une assiette, alors allez manger dans un coin et on s’occupe de tout ! » Je m’exécute. En un clin d’œil, la salle est prête pour accueillir le public, l’ordinateur installé et la nourriture rangée. J’applaudis et sors de la salle un instant.
Lorsque je reviens, le premier groupe de visiteurs est installé et ma surprise est grande de voir le stagiaire le plus timide occuper le devant de la scène et expliquer le déroulement de la semaine. Il est très sur de lui, épanoui.
Comme je l’ai dit plus haut seulement trois stagiaires étaient d’accord pour montrer leurs films. Le public est très attentif et applaudi à la fin de chaque film. Nous faisons ainsi quatre projections avec des publics différents et à chaque nouvelle projection, un ou deux étudiants viennent me dire à l’oreille : « tu peux montrer le mien ». Au final, c’est six films sur dix que les stagiaires montreront !
Les projections terminées, nous rangeons la salle et nous nous disons au-revoir. Il y a beaucoup d’émotion dans ces adieux mais la femme la plus âgée va transformer ce moment un peu triste en grande partie de rigolade. Avec un accent africain très prononcé, elle s’adresse à chacun, sur le mode comique, en reprenant mes observations sur les films. Elle se dandine, exécute des pas de danse pour ponctuer son discours et nous fait pleurer de rire.
C’est ainsi que s’achève cette semaine de stage.
Je rentre à la maison heureuse de ces rencontres, heureuse et pleine d’espoir.
*Les noms et certains détails ont été transformés pour respecter la confidentialité des personnes et du groupe.